Les députés Bertrand Pancher (UMP – Meuse) et Philippe Tourtelier (SRC – Ille-et-Vilaine) ont présenté, devant les commissions du développement durable et des affaires économiques de l'Assemblée nationale, leur rapport d'information sur la mise en application de la loi Grenelle 2.
Ce rapport, 18 mois après la publication de la loi, fait suite à un bilan d'étape réalisé en juin 2011, d'où il ressortait que seulement 20,1% des décrets d'application attendus avaient été publiés. A cette époque, le Gouvernement s'était engagé à publier 80 à 90% des décrets début 2012, "ce dont certains d'entre nous doutaient", rappelle Bertrand Pancher.
Plus de 69% des décrets publiés
Où en est-on aujourd'hui ? Au 31 janvier 2012, 128 décrets avaient été publiés sur les 185 textes jugés utiles par le secrétariat général du Gouvernement pour la mise en application de la loi d'ici 2013. Soit 69,2% du total. Trente-trois autres décrets sont actuellement à la signature du ou des ministres, après arbitrage interministériel, ou en Conseil d'Etat, ce qui représente un total de 87,03 % des décrets nécessaires. "Nous considérons qu'il s'agit là d'un bon résultat", indique Bertrand Pancher.
Des disparités suivant les domaines d'application du Grenelle sont toutefois constatées. Dans le domaine des transports, le taux de publication des décrets est le plus faible (50%), alors, qu'à l'inverse, ce taux est de 85,7% dans le champ climat-énergie. Les raisons des retards de publication ? La complexité juridique, la nécessité d'arbitrages interministériels, la montée au créneau de certains lobbys ou encore les nécessaires arbitrages financiers.
Le texte de loi plutôt bien respecté
Mais peut-on se satisfaire du seul taux de publication des décrets ? Le rapport attire l'attention sur les limites intrinsèques "d'un indicateur purement quantitatif (…), qui ne prend en compte ni la complexité, ni l'urgence des textes". Sans parler de l'effectivité de l'application des textes sur le terrain ou même du simple respect de l'esprit de la loi.
Sur ce dernier point, "à quelques exceptions près, largement médiatisées d'ailleurs (non-prise en compte des émissions indirectes de gaz à effet de serre lors des bilans des entreprises, retard d'une année de la publication des indicateurs sociaux et environnementaux des entreprises..), nous pouvons affirmer que les décrets ont généralement plutôt bien respectés le texte de loi que nous avons voté", juge Bertrand Pancher.
Des questions sur la publicité extérieure, le DPE, les transports…
Mais sous ce satisfecit général, certains textes posent toutefois problème. C'est le cas du récent décret sur la publicité extérieure, qui suscite de vives réactions. "Dans les rapports entre les acteurs, c'est comme si on n'avait rien voté", déplore Philippe Tourtelier. A ce propos, Annick Le Loc (SRC – Finistère) dénonce l'adoption d'un amendement dans le cadre de l'examen de la proposition de loi Warsmann, portant à six ans le délai de mise en conformité des publicités, enseignes et préenseignes.
Le diagnostic de performance énergétique pose question. En fonction de l'objectif qu'on lui assigne – informer ou servir de base à la transformation du logement -, c'est un outil qui peut apparaître comme "trop" ou "pas assez" sophistiqué. Le rapport pointe le fait qu'il se présente sous la forme d'une simple "étiquette énergétique" et alerte sur le risque que cet outil devienne "un gisement de contentieux". En outre, cet outil, "dont la fiabilité n'est pas toujours assurée", sert de fondement pour la majoration d'une aides fiscale comme le PTZ+.
En matière de transport, trois domaines "suscitent une attente particulière" : le "droit à la prise" pour les propriétaires de véhicules électriques ou hybrides rechargeables résidant dans une habitation collective, la modulation des péages autoroutiers et l'expérimentation volontaire des péages urbains dans les agglomérations de plus de 300.000 habitants. Si le décret destiné à mettre en œuvre la première de ces dispositions a été publié fin juillet, les deux autres restent en attente.
Aucune région n'a pu respecter la date légale d'élaboration des SCRAE, le 13 juillet 2011, le décret ayant été publié moins d'un mois avant cette échéance. Quinze d'entre elles devraient néanmoins être en mesure de finaliser l'adoption de cet outil de programmation avant le 30 juin 2012.
Eolien, captages d'eau et RSE posent question
Dans le domaine de l'éolien, les retards constatés dans la publication des décrets ont été préjudiciables, "aboutissant au résultat paradoxal de retarder le lancement des nouveaux projets par manque de sécurité juridique alors même que l'objectif de la loi Grenelle 2 était de clarifier les dispositifs applicables", souligne le rapport. Les députés contestent également la règles des cinq mâts, qui a réduit les possibilités de projets nouveaux.
La mise en œuvre du dispositif de protection des captages d'eau potable divise les parties intéressées, indique le rapport. Certains estiment qu'il met en danger la viabilité économique des exploitations alors que, pour les autres, il semble adéquat surtout dans la mesure où il est possible de se reconvertir dans l'agriculture biologique. Le décret sur la limitation des intrants de synthèse dans les aires d'alimentation des captages est toujours attendu.
En ce qui concerne les dispositions emblématiques du Grenelle relatives à la RSE, "les atermoiements qui ont entouré les conditions de sa mise en œuvre constituent malheureusement encore aujourd'hui un point de préoccupation", soulignent les rapporteurs. Deux amendements ont été adoptés lors de la discussion de la proposition de loi Warsmann : le report d'une année de l'obligation de reporting social et environnemental des entreprises et une distinction entre sociétés cotées et non cotées s'agissant des informations à communiquer. Ces deux évolutions du texte, qui ont conduit à différer la publication du décret d'application, "ont été fortement regrettés" par les auteurs du rapport et par les syndicats.
Modernisation fondamentale des pratiques de gouvernance
Alors le Grenelle, une réussite ? Pour Serge Grouard (UMP – Loiret), président de la commission du développement durable, la réponse est sans contexte positive : "l'inflexion est en cours mais comment peut-on imaginer changer un modèle vieux de 200 ans en 18 mois ?".
"On parle de textes, mais l'essentiel, c'est la volonté politique", résume Philippe Tourtelier. Le député alerte toutefois sur les risques de détricotage du Grenelle qui peuvent aussi venir de lois extérieures, comme le montre à ses yeux la proposition de loi Warsmann actuellement en discussion.
En tout état de cause, les auteurs du rapport sont d'accord pour reconnaître que "au-delà des textes, des décrets, des mutations qualitatives et des objectifs chiffrés, le Grenelle de l'environnement a ouvert la voie à une modernisation fondamentale des pratiques de gouvernance, dans le domaine de la démocratie environnementale comme dans celui, plus général, de la prise de décision administrative".